Il est une question qu’on me pose
encore aujourd’hui (après presque 30 ans passées en France) devant laquelle j’oscille
entre la résignation et l’énervement. C’est lorsqu’on me demande « vous
êtes de quelle origine ? »
Voici les circonstances à travers
une anecdote : j’ai emmenée aujourd’hui ma fille consulter une nouvelle
pédiatre. Et à la 2e question, exactement une minute après qu’on ait
franchi la porte de son bureau, elle m’a posé la question fatidique « vous
êtes de quelle origine ? »
Soyons clair : je suis
française, vivant en France, depuis de très nombreuses années mais je n’ai
aucun problème avec mes origines. J’ai passé la majeure partie de ma vie en France
(et toute ma vie d’adulte) mais je garde des liens avec mes origines : à
travers mes parents, la langue (dans laquelle ils s’adressent à moi quasi
exclusivement), plus largement à travers ma famille élargie dont une partie
réside encore en Iran, un peu à travers aussi des recettes de cuisine et de la
musique, ainsi que la célébration des fêtes, en particulier Norouz (le nouvel
an iranien qui est célébré tous les 21 mars, le 1e jour de
printemps). Je ne suis pas retournée en Iran depuis 22 ans mais il est présent
dans ma vie (ainsi que dans la vie de mon mari et mes enfants) comme un fond
culturel et une richesse.
Je n’ai nullement l’impression d’être
« démasquée » : j’ai accolé le nom de mon mari au mien et quiconque
entend mon nom de famille se rend bien compte qu’il est en partie d’origine
étrangère. Il y a aussi ce petit accent que je traine, qui en général ne permet
pas à mes interlocuteurs d’identifier une origine géographique précise (on me
demande en général si mon accent vient d’un pays anglo-saxon, ou bien d’un pays
d’Amérique du Sud…) mais il y a des indices qui laissent supposer une origine
étrangère, proche ou lointaine. Ces indices auraient pu correspondre à une
immigration de 3e ou 4e génération tout comme une immigration
de 1e génération comme c’est mon cas.
Lorsque nous avons passé un an
aux Etats-Unis, le fait que nous soyons arrivés de la France était assez
évident : nous venions tout juste de nous établir aux Etats-Unis et nous parlions
l’anglais avec un accent français certain. Et même là je n’ai jamais caché mes
origines iraniennes lorsqu’on me le demandait au bout d’un moment.
J’ajoute aussi que mes enfants
sont très à l’aise avec la partie de leur identité qui vient d’Iran et ne se
font généralement pas prier pour « révéler » cette facette de leur
identité.
Alors, quel est le problème ?
Le problème c’est simplement que je trouve cette question (« vous êtes de
quelle origine ? ») un tout petit peu intime et j’aimerais que les
gens attendent un peu d’avoir l’autorisation de pénétrer cette intimité !
Ou du moins qu’ils montrent qu’ils savent qu’ils touchent un territoire intime
(par exemple en introduisant leur question avec une phrase telle que « si
vous me permettez j’aimerais vous demander … »). Je me souviens par
exemple encore il y a quelques années certains demandaient « madame ou
mademoiselle ? » Il n’y avait rien d’impoli dans cette question, mais
elle était un peu inquisitrice.
J’estime d’ailleurs qu’on touche au même degré
d’intimité avec la question des origines qu’avec la question du couple ou des
enfants. J’aurais pu demander à cette pédiatre « êtes-vous mariée ? »
ou « avez-vous des enfants ? » Cette dernière question aurait d’ailleurs
pu m’éclairer sur ses aptitudes à prendre en charge ma fille non seulement en
tant que médecin mais aussi avec une sensibilité de maman… mais je ne me le
suis pas permis et je pense qu’elle aurait été étonnée si je l’avais fait. Non
pas qu’elle avait quelque chose à cacher, mais parce qu’on n’était pas encore à
ce degré d’intimité !
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